On dit trop souvent que les gosses ont du génie.. Les parents accrochent au mur d'affreux gribouillages. Cela dure quelques années. On s' aperçoit que le gosse n'avait pas de génie. On oublie. Mais tous les gosses ont un regard.. Certains gardent ce regard de gosse toute leur vie, et ça leur donne du génie. Isabelle Lanchon peut comme les gosses voir des choses que les adultes ne voient plus, rester trois heures à contempler le miroitement d'une bave d'escargot, trois jours à observer la germination d'un semis de gazon.. Elle vit dans un monde lent, ou plutôt elle s'est inventé un monde lent dans un monde frénétique.
Sa technique si personnelle, participe de cette lenteur patiente.. On pourrait la croire petite soeur des grands récupérateurs, les Dubuffet, Pons, Villier, Fièvre, Dereux.. Regardez de plus près : pas un clou, pas une vis, pas un boulon, pas une écorce, pas un galet. A la différence des pilleurs d' épave, des recycleurs qui utilisent parfois leurs trouvailles telles qu'ils les trouvent, ready made, chez Isabelle Lanchon tout est fabriqué, façonné, rien d'autre n'est récupéré que la matière première, complètement transformée : le papier - celui des journaux, des revues et des pubs - : déchiré, encollé, mâché, trituré, malaxé, tressé, rubanné, tortillé, tortillonné, compressé, découpé, séché, poncé, peint, ciré enfin. Des pièces et encore des pièces, innombrables, patiemment formées, modelées, râpées, pliées, une à une, collées ensemble, assemblées. A quoi s' ajoute ici un laçage, ici un tressage, ici un treillis, une empreinte, et plus rarement un emprunt, tissus ou ficelle.. Dans une première période, elle façonnait un fond, un support, puis peignait sur ce fond comme taggant sur un " opus incertum "... Maintenant ce sont des reliefs (pas de jeux de mot ici, il ne s'agit pas de restes), de hauts reliefs de plus en plus profonds, où les niveaux se superposent, où les formes, les personnages sont sertis, enfermés ou protégés, derrière un cloisonnement qui évoque un tronc creux, une hutte, une porte, une barrière, des poutrelles.. Et là derrière, ILS sont blottis, ses bonshommes, ils épient, ils VOUS regardent les regarder.. Ils vous observent sana agressivité, sans malignité, mais - comme leur créatrice - avec étonnement, et parfois, plus rarement.. un peu de consternation.
Vous ne pouvez pas ne pas penser au regard de l'enfant. Isabelle Lanchon a gardé son regard d'enfant, mais sa technique est apprise, mûrie, sûre, contraignante par le temps qu'elle demande, et libre par cette volonté de se créer elle-même. Pas de gestique exhibitionniste, pas de trait à la Zorro, pas de contorsion stérile, mais une patience rêveuse, et le plaisir du faire artisanal.
Avec Isabelle Lanchon vous êtes loin du réel, et pourtant c'est bien le réel qui vit dans ce monde de " papier mâché " : celui des peurs, des angoisses, des douleurs, de l'amusement, de l'émerveillement.. et de l'humour..
Certains cherchent dans les oeuvres d' Isabelle Lanchon une référence ethnique, une influence des arts dits " premiers ". C'est que le regard sincère est le même chez elle que chez les artistes des tribus, que c'est dans une égale sincérité qu'ils se rejoignent.. La technique apprise et la culture ont été absorbés, digérés, comme oubliés pour rejaillir de même que reviennent en rêve les images de veille..
Parfois, un croquis a construit le schéma de l'édifice, parfois les formes modelées s'assemblent comme par affinité, une forme demandant la compagnie d'une autre puis d'une autre jusqu'à ce que le groupe constitué se suffise à lui-même.. Le moment de peindre ajoutera à ces formes les couleurs : celles qui s'intègreront à la forme, et vous feront croire à une surface d'acier, de rouille, de bois, de pierre, alors qu'elles sont acrylique sur papier, puis celles indépendantes, plus légères, qui ajouteront le détail d'un trait, d'une volute, d'un oeil ou d'une bouche. Tous ont leur émergence libre. Le titre ne viendra qu'une fois l'oeuvre achevée, sans préméditation, comme un clin d'oeil.
isabellelanchon@orange.fr
Commentaires
1 Bachelet alain Le 14/03/2022
Alain BACHELET